La linguistique d'Aristote

Paul JORION
jorion@aris.ss.uci.edu

Référence officielle: V. Rialle & D. Fisette (eds.), Penser l’esprit: Des sciences de la cognition à une philosophie cognitive, Grenoble: Presses Universitaires de Grenoble, 1996, 261-287

 

La pensée qui engendrera la pensée moderne ne s'éveille pas brutalement au Ve siècle av. J.-C. en Grèce ancienne : elle fut en gestation durant des millénaires dans le bassin méditerranéen. Même si nous manque cruellement la connaissance de cette culture méditerranéenne qui s'envola en fumée dans l'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie, il s'est bien en effet passé quelque chose de tout à fait spécial au Ve siècle et Aristote peut être compté au rang des quatre ou cinq luminaires authentiques de la pensée. Lorsque, tout récemment (1990), Geoffrey Lloyd tenta de comprendre pourquoi il y eut un « miracle grec » et non un « miracle chinois » - alors que la Chine possède à cette époque un léger avantage technologique sur la Grèce (cf. Graham 1973), il fut obligé de considérer comme un élément essentiel de la différence, la présence en Grèce d'un penseur de la stature d'Aristote.

Pour pouvoir construire l'intelligence artificielle, il faut disposer d'une théorie du langage. La linguistique a produit de nombreuses théories du langage au cours des années récentes. Celles-ci sont souvent exclusives l'une de l'autre et l'on pourrait penser qu'il en existerait parmi elles l'une au moins qui pourrait nous servir d'outil. Or ce n'est pas le cas, toutes - et chacune à sa façon - se révèlent inadéquates. Pourquoi la linguistique d'Aristote constituerait-elle, comme je le défendrai ici, une théorie du langage plus adéquate à son objet que l'ensemble des théories linguistiques qui furent développées depuis ? Après tout, aucune d'entre elles n'a été conçue dans l'ignorance de ce qu'avait écrit le philosophe antique. Les facteurs qui expliquent pourquoi sont principalement de trois ordres. Le premier, est qu'une vulgate s'est construite à propos d'Aristote, qui obscurcit plutôt qu'elle n'éclaire son oeuvre, et qui cache la nature essentiellement différente de sa linguistique. Le second facteur est que la linguistique du Stagirite est une linguistique appliquée. Et le troisième facteur est que sa linguistique est en réalité une théorie unifiée non seulement du langage mais de ce que j'appellerai à partir de maintenant, la pensée discursive - la pensée en tant qu'elle s'exprime à l'aide de mots - et ceci au contraire des théories contemporaines.

Le premier point ne me retiendra pas davantage : Aristote a couvert de son oeuvre la quasi-totalité des domaines de la connaissance et c'est lui qui a proposé pour la science une définition qui reste valide : la science est le discours qui parle des choses et tant qu'elles sont générales et non en tant qu'elles sont singulières (1). Ceci dit, les sciences particulières se sont développées en divergeant par rapport à la manière dont le Stagirite les avait abordées et si l'on le relit aujourd'hui rétrospectivement à partir de chacune des postérités générées par ces sciences, sa pensée paraît sinon inexacte, du moins obscure. J'ai montré ailleurs (Jorion 1992) que l'on ne peut rien saisir de ce qu'avance Aristote sur la justice, le syllogisme ou le prix en tant que proportions, si l'on ignore le rôle central joué par la théorie de la proportion dans la Mathématique grecque du Ve siècle ; je reviendrai plus bas sur ce point pour ce qui touche spécifiquement au syllogisme. Il faut aussi, comme le montre l'exemple de René Thom à propos de la physique (1988), que les descendances des sciences particulières aient d'une certaine manière échoué dans leurs objectifs pour que l'on réexamine la manière dont Aristote avait abordé ces questions et que l'on y redécouvre une approche différente restée pour sa grande part inexploitée.

Le deuxième facteur est donc que la linguistique d'Aristote est une linguistique appliquée, et que, de ce point de vue, elle aborde le langage dans une perspective identique à celles que l'on rencontre aujourd'hui en intelligence artificielle et en traduction automatique. Bien entendu, l'application qui intéresse Aristote est sans rapport avec la simulation de la pensée sur l'ordinateur : elle est d'ordre philosophique au sens où la philosophie avait un enjeu directement politique dans l'Athènes du Ve siècle. Il s'agissait en effet pour Aristote de « river le clou » à ses adversaires Sophistes, qui prétendaient qu'il n'est pas possible de fonder un discours sur le raisonnement, parce que si celui-ci peut sans doute conduire à prouver une hypothèse, il permet avec la même aisance de prouver l'hypothèse contraire. En réalité, la linguistique d'Aristote est appliquée à une théorie du raisonnement : c'est une théorie de la pensée discursive, et c'est précisément à ce titre que la linguistique intéresse des technologies telles que l'intelligence artificielle ou la traduction automatique.

Le troisième facteur est donc que la linguistique d'Aristote est une linguistique unifiée en théorie de la pensée discursive et ceci la distingue des théories linguistiques contemporaines dont aucune n'est unifiée car toutes divisent les problèmes en questions syntaxiques, sémantiques et logiques et aucune n'est à même de nous dire ce qui articule les trois dimensions de la syntaxe, de la sémantique et de la logique. Celles qui s'y sont essayées ont même abouti à la conséquence paradoxale de devoir introduire, pour se sauver, une quatrième dimension, celle de la pragmatique, en réalité elle aussi irréductible aux trois précédentes.

 

Syntaxe, sémantique et logique

En fait, la distinction entre syntaxe, sémantique et logique nous est devenue tellement évidente que nous ne sommes même pas sûrs que leur séparation soulève quelque difficulté. Jusqu'à ce que, bien sûr, on ne rencontre cette séparation comme un obstacle insurmontable, par exemple en intelligence artificielle. Quoi de plus évident en effet que la distinction entre fond, forme et véracité ? Quoi de plus évident qu'affirmer que « Le chat sur est le tapis parce qu'il y fait chaud » est une faute de syntaxe, que « Le néanmoins est sur le tapis parce qu'il y fait chaud » est une faute de sémantique, et que « Le chat est sur le tapis parce que les chats sont des mammifères » est une faute de logique ? Mais aussitôt ces distinctions opérées, la linguistique cesse d'être une, et elle se divise en trois (ou quatre) sous-disciplines irréductibles les unes aux autres, c'est-à-dire, incommensurables, parce qu'il n'existe aucune articulation connue entre elles, et que si elles se partagent le domaine de la pensée discursive, c'est en étant parfaitement étanches les unes aux autres. Entre la syntaxe et la sémantique, il n'y a en effet rien et entre la sémantique et la logique, il n'y a rien non plus. Alors, si l'on prend son départ dans l'une ou dans l'autre, on aboutit un beau jour au bord du gouffre qui les sépare et l'on est obligé de s'arrêter là, sous peine de tomber au fond du précipice.

Comment en est-on arrivé à un tel état de fait ? Par un processus que l'on peut étudier de manière historique : parce que chacun de ces domaines s'est constitué autour d'un objet qui est un jour apparu autonome, que ce soit la signification des mots envisagés individuellement, la position des mots dans la phrase, ou la vérité ou la fausseté des énoncés (2). Autant en réalité de considérations disparates construites autour de boîtes noires, inanalysées et, inanalysables dans la perspective d'une autonomie des objets. La signification est le trou noir de la sémantique, la position du mot, le trou noir de la syntaxe (voir ce qu'en dit, dans le même sens, Milner 1989 : 282-284), la vérité est le trou noir de la logique. Une fois que l'on a dit, à la suite de Tarski que « la neige est blanche » est vrai si la neige est blanche (Tarski 1956), on peut aussi bien rentrer chez soi : la question de la vérité et de la fausseté des énoncés, ne court plus aucun risque de se voir un jour éclairée.

 

Les parties du discours

On sait que le premier mouvement de toute théorie linguistique contemporaine est de distinguer des parties du discours, « substantif », « verbe », « préposition », etc. et de considérer les différents éléments de ces classes comme les briques dont la langue est construite. Ici aussi, la démarche nous est à ce point familière qu'il paraîtrait incongru de la remettre en question et pourtant, dès que nous tentons d'appliquer cette classification à d'autres langues que celles qui nous sont les plus proches, nous allons de déconvenue en déconvenue. Il suffit d'ouvrir aujourd'hui une grammaire chinoise et d'y lire comme titres de chapitres « Nom employé comme verbe » (Fan Keh-Li 1991 : 68), « Adjectif employé comme nom » (ibid. 76) ou « Verbe employé comme adverbe » (ibid. 78), pour constater le caractère inadéquat en chinois d'une division en parties du discours qui nous semble pourtant si évidente dans les langues qui nous sont familières.

L'impossibilité de recourir de manière féconde aux distinctions entre syntaxe, sémantique ou logique et à la classification en parties du discours résulte probablement de ceci : les instruments de la linguistique moderne n'ont pas été produits dans la perspective d'une théorie unifiée du langage, ils ont été élaborés au sein d'une langue naturelle particulière par des locuteurs dont elle est la langue maternelle. L'absence de recul critique débouche sur l'impossibilité intrinsèque d'élargir le cercle d'application de ces outils trop focalisés. Or ces divisions ne sont pas nécessaires : la preuve en est qu'Aristote s'en passa très bien en produisant dans l'Organon une théorie linguistique qui est tout à la fois une syntaxe, une sémantique, une logique et une pragmatique (on ajoutera sa Rhétorique à l'Organon pour couvrir entièrement le domaine de la pragmatique), et qui néglige la classification en parties du discours.

 

L'Organon

Alors, que trouve-t-on chez Aristote dans ces lieux où règnent aujourd'hui linguistique et logique ? On trouve l'Organon, composé de livres aux titres apparemment obscurs : Catégories, Herméneutique, Premiers et Seconds Analytiques, Topiques et Réfutation des arguments sophistiques. A première vue, rien qui puisse non plus constituer une théorie unifiée de la pensée discursive et pourtant, c'est précisément à cela que l'on a affaire. Pas d'hiatus ici, comme ceux que j'ai mentionnés à propos des théories contemporaines. En bref, les Catégories parlent des termes pris individuellement, les concepts ; l'Herméneutique parle des concepts envisagés par paires pour constituer des jugements ; les Premiers, les Seconds Analytiques et les Topiques parlent des jugements envisagés par paires pour constituer des syllogismes ; et la Réfutation des arguments sophistiques parle des déraillements possibles de la pensée lorsque les syllogismes sont concaténés au sein de discours (3).

Bien entendu, ce n'est pas de cette manière que l'on résume ordinairement l'Organon, et pourtant c'est exactement de cela qu'il s'agit dans cet oeuvre : on distingue un élément linguistique, puis l'on examine ce qui se passe lorsqu'il est envisagé par paires pour constituer une nouvelle entité d'une autre nature, et l'on recommence de même avec celle-ci, jusqu'à ce que soit atteint le niveau le plus élevé : celui où il cesse d'être pertinent d'envisager les éléments par paires.

Les moments successifs s'articulent sans difficulté les uns aux autres, toujours par un mouvement similaire : envisager une entité, puis la faire disparaître en tant qu'entité séparée en l'envisageant par paires, envisager la nouvelle entité en tant que telle, puis la faire disparaître à son tour en la considérant par paires, et ainsi de suite. Le mouvement consistant à s'élever d'un degré et à négliger désormais la séparation des éléments, est à la fois une synthèse et une transcendance. L'anglais a pour cela le mot chunking (cf. Hofstadter 1979 : 285-288), le français ne possède pas de mot réellement adéquat. L'allemand a Aufhebung que les philosophes traducteurs de Hegel se sont accordés à traduire par sursomption (4), je suivrai ici cet usage.

Dans un premier temps, le mot isolé est envisagé en soi à l'intérieur d'une classification qu'Aristote appelle les catégories (qu'il s'agisse à proprement parler de ce que les Grecs appelaient « catégories » a récemment été mis en cause par Frede ; son argumentation n'est cependant pas parfaitement convaincante ; Frede 1987 : chapitre 2). Dans la terminologie hégélienne qui correspond point par point à celle d'Aristote, il s'agit du niveau du concept.

Dans un deuxième temps, les termes sont envisagés par paires : l'un (le prédicat) est dit, « prédiqué » de l'autre (le sujet). Toutes les relations possibles dans cette perspective sont envisagées. La paire constituée de la chose dite et de celle dont il est dit crée par sursomption une nouvelle unité qu'Aristote désigne de deux expressions : apophansis et protasis (5). Dans la terminologie hégélienne - reprise ici à Kant -, il s'agit du niveau du jugement (Urteil).

Dans un troisième temps, ce sont les jugements qui sont envisagés par paires. Quand il existe à ces deux jugements un terme commun, moyen (meson), il est en général possible de générer à partir d'eux un troisième où les deux termes extrêmes (ceux qui ne sont présents que dans un seul des deux jugements) interviennent, l'un comme sujet, l'autre comme prédicat. La pensée résulte de cette capacité de deux jugements liés par un terme commun à en générer un troisième distinct. Ce mécanisme est celui du syllogisme, terme que Hegel reprend tel quel à Aristote. Par ailleurs, quand les quatre termes sont distincts, mais que les deux jugements expriment une même proportion (analogia), il existe ce que nous appelons aujourd'hui une analogie (paradigma) ; Aristote ne reconnaît à l'analogie qu'un rôle heuristique, comme source d'inspiration dans la découverte scientifique.

On peut bien sûr établir un parallèle entre ces trois temps aristotéliciens et les distinctions modernes : envisager le terme seul, « non combiné », cela ressemble à la sémantique, envisager les termes combinés en jugements, cela rappelle la syntaxe, envisager les jugements par paires, cela ressemble à la logique. Quant à la pragmatique, elle traite d'une dimension qu'Aristote n'a pu traiter qu'imparfaitement et qui se trouvait au centre de son débat avec les Sophistes : l'adhésion du sujet parlant à la phrase qu'il énonce.

La différence entre la linguistique d'Aristote et la linguistique moderne est qu'alors que pour celle-ci, sémantique, syntaxe et logique sont trois réalités désarticulées et irréconciliables, pour Aristote (j'utilise les termes hégéliens), le concept, le jugement et le syllogisme constituent trois niveaux emboîtés que l'on atteint par sursomptions successives : le jugement comme paire de concepts, et le syllogisme comme paire (féconde) de jugements.

 

Pourquoi a-t-on oublié la linguistique d'Aristote ?

La théorie linguistique d'Aristote est à ce point satisfaisante qu'il faut trouver une explication au fait que l'on en a produit d'autres depuis, et moins satisfaisantes. La raison principale, à mon sens, est qu'en général, on ne sait pas qu'Aristote a produit une linguistique : si l'on évoque abondamment l'Organon dans tout ouvrage consacré à l'histoire de la logique, l'oeuvre d'Aristote n'est pas mentionné dans les histoires de la linguistique. L'origine du malentendu réside là : la logique moderne s'est développée à partir de l'Organon, la linguistique, non. D'où la vision fausse a posteriori que l'Organon est un ouvrage de logique et non de linguistique. Le projet d'Aristote a perdu le sens qui était le sien initialement du fait de sa progéniture. J'entends dire que les développements de la logique, au moyen âge et au cours des temps contemporains, ont contribué à une reconstruction rétrospective de l'Organon dans une perspective logiciste qui lui était étrangère. Hamelin (1905) et Ross (1923) ont sans doute été les plus proches d'une reconstruction du projet aristotélicien tel qu'il était en l'état.

Pour comprendre cette déperdition du projet, il faut faire un retour en arrière et examiner dans une perspective historique comment la théorisation des processus de pensée discursifs, en tant qu'enchaînements de mots, s'est construite. A l'heure actuelle, les disciplines qui s'occupent des lois de la pensée discursive à titre spécifique (par opposition à celles qui les traitent à titre incident, comme la philosophie, la psychologie ou l'anthropologie) sont la linguistique (incluant la rhétorique) et la logique. Au sein de cette division, la linguistique constitue le simple prolongement de la grammaire. Le partage en ces trois disciplines correspond aux trois préoccupations qu'évoquait le Scolastique Guillaume de Sherwood : « la grammaire enseigne à parler correctement, la rhétorique à parler élégamment, enfin la logique à parler véridiquement » (Broadie 1987 : 1 ; Blanché 1970 : 137).

Pour ce qu'il en est de la grammaire en particulier, la syntaxe s'occuperait de l'articulation correcte des parties du discours, laissant en suspens - en principe - la question de la signification ; la sémantique traiterait spécifiquement de la question du sens ; tandis que la pragmatique s'occuperait de la langue dans une troisième dimension qui serait le « rapport des signes au sujet parlant » (Benveniste 1974 : 234) - ce que j'ai appelé (1990) en reprenant un terme à Thomas d'Aquin, l'adhésion. La Rhétorique, quant à elle, traiterait des tropes, c'est-à-dire des manières légitimes de s'écarter dans la phrase du sens manifeste, littéral, des mots tout en maintenant son sens global inchangé, et ceci à des fins de figuration. Quant à la logique, on pourrait la caractériser, dans cette perspective d'une « division disciplinaire des tâches », comme énonçant les règles formelles de l'engendrement légitime de la signification, à partir de la signification.

La manière dont les responsabilités ont été réparties correspond sans doute à une division pratique du travail de théorisation, mais celle-ci ne constitue en aucune façon une partition au sens mathématique, à savoir au sens où ces disciplines ne se chevaucheraient pas et traiteraient chacune d'un aspect distinct de celui dont s'occupent les autres, tout en ne laissant aucun aspect de la langue inanalysé. Cet état de chose résulte du fait que chacune de ces disciplines s'est constituée récemment « pour son compte », autour d'un objet qui paraissait isolable, sans souci d'un partage systématique entre dimensions authentiquement distinctes du langage. Nous avons vu que du temps d'Aristote déjà un partage existait, la rhétorique (et il faudrait y ajouter la poétique), se distinguait déjà du corps de réflexion que constitue l'Organon et dont l'objet est bien unique dans la mesure où, comme je l'ai souligné plus haut, on y passe, de « sursomption en sursomption » d'un niveau d'analyse à un autre.

En fait, la question de la pensée discursive a été parcellisée au fil des siècles du fait de l'émergence historique de disciplines diverses à partir de possibilités aperçues, l'une à la suite de l'autre, et comme je l'ai dit tout à l'heure, d'autonomiser au sein de la langue des objets et des problématiques. Du coup, l'objet d'investigation unifié auquel Aristote avait affaire, s'est éparpillé en autant de spécialisations, privées désormais d'un langage commun. Ce qui a permis cet éparpillement c'est la disparition du souci d'application qui motivait Aristote lorsqu'il s'efforçait de fonder la véracité face à ses adversaires sophistes. Et ce qui pousse aujourd'hui à la réunification, ce sont ces autres perspectives d'application, entièrement distinctes, telles l'intelligence artificielle ou la traduction automatique.

Il faut toutefois insister sur le caractère récent de cette dispersion des approches : s'il nous paraît aujourd'hui évident que la grammaire et la logique traitent de questions différentes, il n'en était pas de même à un époque aussi proche de nous que le XVIIe siècle. La logique ou l'Art de Penser, dite encore logique de Port-Royal d'Arnauld et Nicole considère encore à propos des parties du discours qu'« il est peu important d'examiner si c'est à la Grammaire ou à la logique d'en traiter ... » (Arnauld & Nicole 1981 [1662] : 103). Quant à Leibniz, il insiste sur l'analyse grammaticale comme condition de l'analyse logique, et il caractérise la grammaire comme ars intelligendi, art de comprendre, qualification que l'on pourrait imaginer plus propre à décrire la logique (Knecht 1981 : 158 & 189), et que l'on peut rapprocher de la scientia sermocinalis des Scolastiques (Moody cité par Blanché 1970 : 145).

Ce qui fait croire que l'Organon ne parle que de logique, c'est le fait que l'on peut y reconnaître la préhistoire de la logique formelle qui est la nôtre aujourd'hui, alors que, la linguistique ayant été reconstruite sur des bases très différentes, on ne trouve rien chez Aristote qui la préfigure vraiment. Pas question en effet chez lui de s'appesantir sur les questions de signification ou de position du mot dans la phrase, seule la vérité est abondamment traitée et c'est là, paradoxalement, le talon d'Achille de l'Organon : le seul point faible qui empêche que l'on réalise la partie proprement linguistique d'une « machine pensante » en se contentant de tourner les pages du traité en en traduisant le contenu ligne par ligne dans les termes d'un langage de programmation.

Le fait qu'il soit question chez Aristote de vérité, c'est ce qui explique que l'Organon soit considéré aujourd'hui comme l'ouvrage fondateur de la logique (et selon Kant et Hegel, non seulement l'ouvrage qui fonde la logique mais également celui qui l'achève, ayant dit du sujet tout ce que l'on pouvait en dire). Le fait qu'il n'y soit question ni de signification ni de position des mots, c'est ce qui explique que l'ouvrage soit au contraire ignoré par l'histoire de la linguistique. Or ce qu'Aristote a produit dans son ouvrage fondateur, c'est une théorie complète de la pensée discursive, une théorie non parcellisée qui ne nécessite aucune des distinctions que suggèrent les mots de syntaxe, sémantique et logique.

Le point aveugle de la théorisation de la pensée par Aristote, l'évaluation des phrases par rapport à une dimension qui leur serait sous-jacente : la véracité, est signalé par le fait qu'il existe un aspect de la pensée discursive qu'il fut obligé de traiter séparément, en composant par ailleurs, une Rhétorique, indépendante de l'Organon (6). Or, ce résidu qu'est la Rhétorique est un artefact, c'est un monstre qui existe uniquement parce qu'Aristote n'a pas pris en considération que toute énonciation a un auteur, qu'il existe pour tout discours une dimension subjective qui s'identifie à l'adhésion du sujet de l'énonciation à l'énoncé qu'il énonce, et qu'il a voulu fonder le discours par rapport à une objectivité qui serait celle des choses physiques et qu'il a appelé sa véracité.

A la décharge du philosophe, il faut signaler qu'il n'aurait pu faire autrement qu'il n'a fait qu'en donnant partiellement raison à ses adversaires théoriques. Or ceux-ci étaient redoutables. Les Sophistes appartenaient en effet à la race des Sceptiques, et mettaient en question, à l'aide d'arguments qui demeurent imparables, la possibilité même d'un savoir (7). Leur abandonner la question de la véracité comme insoluble, ç'aurait été capituler du fait même sur le terrain de la connaissance. Cela, Aristote n'a pas voulu le faire, et nous lui en sommes redevables. Mais aujourd'hui, il nous est possible, maintenant que du savoir a été produit de manière cumulative durant vingt-cinq siècles, de « revenir à la bifurcation » et d'achever éventuellement sous la forme pragmatique de la « machine pensante », l'édifice dont Aristote a bâti tous les étages, à l'exception du dernier.

 

La dimensionalité de la pensée discursive

L'hypothèse implicite chez Aristote d'une structure étagée de la pensée discursive a une conséquence immédiate : l'énonciation de cette pensée dans un discours équivaut à la transformation linéaire, c'est-à-dire dans un espace à une dimension, d'un espace qui possède en réalité une dimensionalité plus grande. Je m'explique.

Le discours est séquentiel : les mots s'enchaînent à la suite les uns des autres, et pour s'exprimer correctement, il faut que les mots apparaissent dans un ordre qui, bien que disposant d'une certaine liberté, respecte des principes généraux. Ou, comme l'on dit, il faut que la phrase soit grammaticalement correcte. Est-ce à dire que la pensée qui sous-tend l'expression discursive de la pensée soit également linéaire ? Pas nécessairement, un grand nombre de phénomènes ne sont perceptibles par nous qu'à l'intérieur d'un espace qui n'est pas véritablement le leur : dans un espace dont le nombre de dimensions est inférieur à celui qui leur est « naturel ». Si l'on examine, par exemple, une courbe de prix évoluant dans le temps, on ignore en réalité une dimension pertinente à la forme qu'adopte cette courbe, le nombre des transactions qui ont eu lieu à chacun des différents prix. Ceci veut dire que l'on examine sur une surface - un espace à deux dimensions - un phénomène qui devrait être représenté en réalité dans un volume, un espace à trois dimensions. Il en résulte un « aplatissement » qui, en général, rend le mécanisme sous-jacent au phénomène plus difficile à saisir : la courbe du prix par rapport au temps n'est qu'une projection dans un espace plus petit d'un objet dont l'espace naturel est plus vaste (8).

Or rien n'indique que l'espace de la pensée discursive soit linéaire comme l'est l'espace du discours : le caractère linéaire du discours peut très bien n'être qu'une contrainte imposée par notre appareil phonatoire. Nous sommes obligés de prononcer les mots les uns à la suite des autres, mais ceci n'est peut-être pas une tendance « naturelle » de la pensée discursive. Notre appareil phonatoire opère peut-être précisément à l'« aplatissement » d'un univers de plus grande dimension. Le fait que la syntaxe soit si compliquée provient peut-être du fait que les mots « n'aiment pas » être forcés dans un mode d'expression linéaire. Il existe d'ailleurs des situations qui suggèrent qu'il en est ainsi. Comment renvoyer, par exemple, de manière anaphorique à la phrase suivante : « Arroge toi le droit de le lui dire » ? Faut-il dire « Arroge toi le lui » ? ou « Arroge le lui toi » ? ou bien encore une des multiples autres combinaisons dont aucune n'est satisfaisante ?

La manière dont Aristote aborde la pensée discursive : concepts, jugements, syllogismes, discours - par sursomptions successives -, suggère que la pensée discursive a comme espace naturel un espace possédant au moins quatre dimensions, et plus probablement cinq, la cinquième étant celle dont Aristote cache involontairement l'existence quand il introduit ses considérations relatives à la véracité, et où je lis, quant à moi, l'adhésion du sujet parlant à ce qu'il énonce. Cinq dimensions, qui constituent autant d'enrobages successifs. Comme dans le cas d'un confiserie que l'on trempe dans des bains successifs : caramel, chocolat, sucre, etc. Noyau du concept, enrobage du jugement, enrobage du syllogisme, enrobage de l'adhésion, enrobage du discours. Et ce que la phrase produit, c'est un aplatissement séquentiel, en une seule dimension, d'un objet qui en possède « naturellement » cinq. L'objet - tel qu'en lui-même - à l'intérieur de son espace « naturel » peut être comparé à un oignon à cinq pelures, passé au rouleau compresseur de son déroulement linéaire dans la phrase, l'oignon de la pensée discursive devient méconnaissable : il est désormais quasi impossible de se représenter ce que pouvait être son apparence première dans l'espace à cinq dimensions qui constituait son environnement naturel. Il n'est pas étonnant dans ces conditions que la syntaxe soit complexe lorsqu'on essaie de la décrire comme un système de règles qu'il suffirait d'appliquer pour produire des phrases grammaticalement correctes : ce que ces règles s'efforcent de mettre en évidence, ce sont en réalité les distorsions auxquelles est soumise la projection d'un espace à cinq dimensions dans un espace qui n'en compte qu'une seule.

En fait, il existe une théorie linguistique contemporaine qui envisage les faits de langue d'une manière très proche de celle que je viens de décrire, c'est la syntaxe structurale de Lucien Tesnière, construite par lui entre 1939 et 1950. Tesnière commence en effet par introduire l'idée d'un « ordre structural à plusieurs dimensions » (Tesnière 1982 : 16), puis il souligne que « le caractère linéaire de la chaîne parlée tient à ce que nous parlons dans le temps, qui est lui-même à une dimension » (ibid. 17). Enfin, il ajoute à propos de l'énonciation que « La transposition de l'ordre structural en ordre linéaire a (...) pour effet de faire en quelque sorte passer le stemma au laminoir. Le schème linéaire est un schème structural tréfilé et laminé. » (ibid. 20). Ceci dit, son concept de « stemma » qui renvoie à « l'ensemble des traits de connexion » (ibid. 15), ne correspond à aucune des dimensions envisagées par Aristote. Dans une note où il rapporte que sa conception du stemma était déjà attestée chez certains linguistes russes avant qu'il n'en ait lui-même l'idée, Tesnière observe d'ailleurs que ceux-ci « expriment dans leurs stemmas l'opposition entre le sujet et le prédicat, conception que je tiens », dit-il, « pour grammaticalement erronée » (ibid. 15). L'opposition entre le sujet et le prédicat est au contraire, comme nous allons le voir, centrale à la conception du jugement chez Aristote, et les linguistes russes en question ont dû trouver chez celui-ci la source de leur inspiration, Aristote demeurant pour les Russes une référence plus constante que ce n'est le cas en Europe Occidentale ou aux Etats-Unis.

 

Les catégories

Aristote envisage dans un premier temps ce qu'il conçoit comme les termes « non-combinés », pris isolément. Et il considère que, comme tels, ils relèvent de dix catégories, expression qui, en grec ancien, renvoie très exactement à ce que nous appelons des prédicats (c'est là du moins l'opinion généralement acceptée par les commentateurs). Pour lui, il existe deux types de mots qui ont un statut privilégié en tant que « mots » et ceci par rapport à une fonction qu'ils sont susceptibles d'exercer : celle d'être sujet ou prédicat dans une phrase. Ces mots d'un type particulier, ce sont les noms et les verbes. Les seules différences qu'Aristote juge pertinentes entre nom et verbe sont que ce dernier autorise (sans qu'il la nécessite) l'adjonction d'une indication de temps, et que le verbe joue un rôle privilégié de liaison entre les noms, le verbe ajoutant quelque chose au nom (9), ce que l'on peut appeler, en empruntant le terme aux grammaires du chinois, la fonction de détermination. Hamelin : «... la fonction principale du verbe est précisément d'indiquer la composition, de marquer que quelque chose est ajouté à quelque chose » (1985 [1905] : 155).

Les catégories, ce sont les perspectives au sein desquelles se situent par nécessité les concepts (à savoir donc, les noms et les verbes) et ces perspectives sont au nombre de dix : la substance, la quantité, la qualité, la relation, la possession, le temps, le lieu, la situation, l'action et la passion. Ce sont là pour Aristote, « les genres élémentaires de l'être », au sens où tout être se situe automatiquement dans certaines au moins de ces dix perspectives et que dire quelque chose d'un être, c'est automatiquement dire quelque chose de lui par rapport à sa substance, sa quantité, sa qualité, son temps, son lieu, etc. Pour Aristote ces dix catégories sont un donné de type empirique : c'est bien parce que le monde est d'une certaine manière qu'un être se situe automatiquement par rapport à elles. Il ne s'agit pas de ce que Kant appellerait plus tard des « catégories a priori de l'entendement humain », c'est-à-dire des contraintes imposées par la nature propre de l'esprit humain, ce sont des contraintes imposées par la physis au sein de laquelle l'homme est plongé.

Je reproduis ici, à titre informatif, le passage où Aristote présente les catégories : « Chaque mot ou expression non-combiné signifie l'une des choses suivantes : - quoi (ou la Substance), de quelle grandeur (à savoir la Quantité), quelle genre de chose (c'est-à-dire, la Qualité), comment, l'un par rapport à l'autre (ou Relation), où (c'est-à-dire le Lieu), quand (ou le Temps), dans quelle attitude (la Posture, la Position), de quelle manière (l'Etat ou la Condition), dans quelle activité, faisant quoi (ou l'Action), subissant quoi, souffrant de quelle manière (la Passion). Les exemples, en bref, de la Substance sont "homme", "cheval", de la Quantité, "long de deux coudées", "trois coudées en longueur", par exemple, de la Qualité, "blanc" et "grammatical". Les termes comme "demi", "double", "plus grand que" sont utilisés pour caractériser la Relation. "Au marché", "au Lycée", et les expressions semblables expriment le Lieu, alors que le Temps est exprimé par des tournures comme "hier", "l'année dernière" et ainsi de suite. "Est couché" ou "est assis" expriment la Position, "est chaussé" ou "est armé" signifie l'État. "Coupe" ou "brûle", de même indique l'Action, "est coupé" ou "est brûlé", indique la Passion.

Aucun de ces termes n'implique en soi un état de fait. Les affirmations, de même que les réfutations, n'interviennent que quand ces termes sont combinés ou réunis. Toute proposition positive ou négative doit être vraie ou fausse - cela en tout cas, est assuré - mais un mot ou une expression non-combinés (par exemple, "homme", "blanc", "court" ou "conquiert") ne peuvent être ni vrais ni faux » (Aristote, Catégories, IV).

 

Catégories et parties du discours

Excepté donc l'accent mis par Aristote sur les noms et les verbes, il néglige donc entièrement la répartition devenue classique en parties du discours. Ross note à ce propos que « ... la doctrine des catégories rassemble des choses que la grammaire sépare, et sépare des choses que la grammaire rassemble » (Ross 1923 : 22). Ceci n'a cependant pas empêché certains auteurs de vouloir rapprocher les catégories des parties du discours. Le premier à l'avoir fait fut Trendelenburg, analyste superbe d'Aristote et adversaire formidable de Hegel. Dans les termes de Hamelin : « Pour (Trendelenburg) la table aristotélicienne des catégories se fonde sur une classification des parties du discours : la substance correspond au substantif, la qualité, à l'adjectif ; la quantité au nom des nombres ; par rapport à, à toutes les formes comparatives et relatives ; quand et , aux adverbes de temps et de lieu ; agir, pâtir, être dans tel état, aux verbes actifs, passifs et intransitifs ; possession à la signification propre du parfait grec, exprimant l'état que le sujet possède comme résultat d'une action accomplie [Trendelenburg, Geschichte der Kategorienlehre 1846]. Mais il convient tout d'abord d'observer qu'il n'y pas trace chez Aristote d'une telle classification des parties du discours. De plus le parallélisme de cette classification avec la table des catégories est loin d'être aussi exact que le donne à entendre Trendelenburg : c'est ce qui apparaît avec évidence, notamment dans le cas de la relation » (Hamelin 1985 [1905] : 101).

La thèse de Trendelenburg a été reprise beaucoup plus récemment par Benveniste. Après avoir observé - selon une formule devenue célèbre - que « nous ne saisissons la pensée que déjà appropriée aux cadres de la langue » (Benveniste 1966 [1958] : 64), et que « les catégories linguistiques, attributs d'un système que chaque locuteur reçoit et maintient, ne sont pas modifiables au gré de chacun » (ibid. 65), le linguiste ajoute que « ... (dans les Catégories) Aristote pose (...) la totalité des prédicats que l'on peut affirmer de l'être, et il vise à définir le statut logique de chacun d'eux (...). Il nous paraît que ces prédicats correspondent non point à des attributs découverts dans les choses, mais à une classification émanant de la langue même » (ibid. 66). Et Benveniste démonte alors le mécanisme selon lequel Aristote aurait opéré : « Inconsciemment, il a pris pour critère la nécessité empirique d'une expression distincte pour chacun des prédicats. Il était donc voué à retrouver sans l'avoir voulu les distinctions que la langue même manifeste entre les principales classes de formes, puisque c'est par leurs différences que ces formes et ces classes ont une signification linguistique. Il pensait définir les attributs et les objets ; il ne pose que des êtres linguistiques : c'est la langue qui, grâce à ses propres catégories, permet de les reconnaître et de les spécifier. (...) La langue fournit la configuration fondamentale des propriétés reconnues par l'esprit aux choses. Cette table des prédicats nous renseigne donc avant tout sur la table des classes d'une langue particulière » (ibid. 70).

Vuillemin a vivement critiqué cette thèse de Benveniste : « ... (la conclusion de Benveniste) outrepasse ce que l'argumentation a démontré. En effet, de ce qu'une philosophie emprunte aux oppositions d'une langue les concepts et les oppositions reconnues fondamentales pour la pensée, il est légitime de conclure non seulement que la langue propose ses suggestions à la pensée, mais qu'il est impossible de penser ce qui n'y est pas exprimé ; toutefois, il est illégitime de conclure que la table des catégories de la pensée reflète celle des catégories de la langue. Pour pouvoir aller jusque-là, il faudrait avoir montré que le tableau des catégories empruntées à la langue est aussi le tableau complet de ces catégories quant à la langue. dans le cas contraire, il y aura sélection et, si le philosophe choisit dans les catégories linguistiques, c'est que son choix n'est précisément plus dicté uniquement par la considération de la langue. Or c'est bien ce qui se passe, puisqu'on ne saurait prétendre que la structure des catégories de la langue grecque est exhaustivement exposée dans le tableau d'Aristote « (Vuillemin 1967 : 76-77).

 

Pénétrable et impénétrable

Quelle que soit la relation qui existe entre les catégories et les parties du discours, le noeud du problème est ailleurs. La division en parties du discours repose en effet sur une « phénoménologie » des mots, sur leur capacité à exprimer la personne et le genre, à s'accorder selon la singularité ou la pluralité, à se présenter en tant que tels, ou à représenter d'autres mots déjà énoncés, alors que les catégories aristotéliciennes sont comme le dit très bien Hamelin, des « points de vue sur les choses » (1985 [1905] : 106), ce qu'Aristote considère comme les différents modes de l'être.

Ceci dit, une chose frappe dans l'énumération que le Stagirite propose des catégories et dans les exemples qu'il en fournit. Que sont en effet ces « coupe », « brûle », « est assis », « conquiert » sinon autant de monstres de la signification : des expressions de la langue artificiellement « coupées en deux » ? La tentative des catégories d'envisager les mots « non-combinés » paraît vouée à l'échec. Sans doute, Aristote simplifie considérablement le problème en n'envisageant que les noms et les verbes - qu'y aurait-il à dire dans une perspective de « non-combinaison  » à propos des prépositions par exemple ? Et cette restriction serait-elle même faite, l'artificialité du « non-combiné » appréhendé en tant que tel n'en demeurerait pas moins criante. Ce qui sauve le concept de catégorie, c'est une présupposition implicite quant à la nature de la phrase, la disposition de l'une des catégories, la substance, à fonctionner de manière privilégiée en tant que sujet, et la disposition de l'ensemble des autres catégories à fonctionner de manière privilégiée en tant que prédicats. Cette dissymétrie, Aristote l'avait lui-même observée : la substance « n'est pas présente dans un sujet », alors que toutes les catégories autres que la substance sont dites « présentes dans un sujet ».

Toutes les catégories autres que la substance sont en effet d'une manière ou d'une autre, présentes dans une substance : les tomates sont rouges, la bûche est coupée, le ruban est long de douze centimètres, etc. Il n'y a pas de « rouge » sans un substrat sur lequel ce « rouge » trouve à se déposer, pas de « coupé » sans une bûche qui subisse cette action, ni de « long de douze centimètres » sans une chose qui le soit effectivement. On pense à la distinction entre les parties du discours que sont le substantif et l'adjectif qualificatif, mais nos langues ont déjà trop joué sur la substantivation de l'adjectif (« le Juste »), et sur l'adjectivation du substantif (« le caractère félin d'une sculpture ») pour que l'évocation dans le contexte présent des parties du discours puisse être d'une grande utilité. Il est plus judicieux de faire appel à une distinction propre à la pensée chinoise : la distinction que celle-ci établit entre le pénétrable et l'impénétrable (Hansen 1983 : 155-156). La substance, c'est l'impénétrable, ce qui, s'il se trouve à un moment à un endroit particulier, interdit qu'un autre impénétrable y soit présent au même moment, alors que le pénétrable, c'est ce qui est potentiellement combinable à d'autres pénétrables, exactement au même endroit. Cette pierre, impénétrable, ne peut pas être au même endroit précis et au même moment exact qu'une autre pierre (10), ceci dit, rien ne lui interdit d'être à la fois, blanche, dure, abîmée, en ce moment même et à Paris, simultanément, sans qu'aucune de ces déterminations au sein d'une catégorie ne gêne en rien les autres.

Il existe donc, sous-jacent à l'approche d'Aristote, un partage entre, d'une part, la substance impénétrable (pierre), et d'autre part, ses propriétés pénétrables qui constituent cet impénétrable pour tout ce qui n'est pas à proprement parler sa matérialité, par leur combinaison dans un mixte inextricable (blanche, dure, abîmée, en ce moment et à Paris).

 

Substance première et substance seconde

À propos de la catégorie de la substance, Aristote introduit une distinction qui brouille passablement les pistes. Il distingue en effet entre la substance première, celle qui constitue la matérialité proprement dite d'un être et qui n'est « ni affirmée d'un sujet ni présente dans un sujet » : par exemple moi-même, la table de ma salle à manger, etc. et la substance seconde, qui est « affirmée d'un sujet, mais non présente dans un sujet » : l'espèce humaine, les meubles en général, etc. La substance seconde ne dispose pas de la matérialité qui est propre à la substance première, elle désigne son essence. Et là, Aristote, se laisse peut-être prendre à un piège que lui tend la langue toute constituée, ce qu'évoque Benveniste lorsqu'il dit que « nous ne saisissons la pensée que déjà appropriée aux cadres de la langue » (Benveniste 1966 [1958] : 64) : il envisage les espèces et les genres comme des choses, il les prend, comme le terme qu'il utilise l'indique explicitement, pour des substances.

Aristote ne saisit pas le mécanisme qui fait qu'une étiquette est apparue un jour dans la langue pour désigner l'« espèce » ou le « genre ». Pour comprendre pourquoi, il faut se pencher sur une distinction qui devint classique à partir de lui entre attributs essentiels et attributs accidentels. L'essence, c'est comme le précise Tricot dans une note relative à La Métaphysique : « essence (to ti èn éinai = ce qui est l'être) = le total unifié des éléments de la définition quand ces éléments sont mentionnés dans l'ordre convenable. » (Aristote 1981 : 24). Les attributs essentiels sont ceux qui constituent l'essence d'un genre et sont donc présents dans toutes les individualités qui appartiennent au genre, les attributs accidentels sont eux représentés ou non et à tel ou tel moment chez les individus qui tombent sous le genre. Aristote écrit dans les Topiques : « (L'accident) est quelque chose qui peut appartenir ou ne pas appartenir à une chose particulière ; par exemple, "être assis" appartient ou n'appartient pas à une chose particulière. De même pour la "blancheur" ; car rien n'interdit la même chose d'être à tel moment blanche et à tel autre non-blanche » (Topiques, I, v, 102b).

La substance seconde, dit-il, c'est l'essence, c'est l'ensemble des attributs essentiels des substances premières. Qu'est-ce à dire ? L'essence d'un genre, ce sont les valeurs que prennent les différents « points de vue » que sont les catégories aristotéliciennes pour l'ensemble des substances premières qui tombent sous cette espèce ou ce genre. Ce sont les attributs qui ne sont pas accidentels à ces substances premières, aux individus singuliers qui constituent l'espèce ; le fait d'être borgne est accidentel pour un homme particulier, avoir perdu ses pétales est accidentel pour une rose particulière. Autrement dit, l'essence, c'est la valeur unique que peuvent prendre les catégories quand elles sont envisagées par rapport à une collection d'individus. Soit, par exemple, « dans la salle » pour l'ensemble des spectateurs d'une pièce de théâtre, et « en scène » pour les acteurs. Je peux envisager les substances premières que sont Pierre, Paul, Ida et Eusèbe en tant qu'ils parlent et je verrai se présenter aussitôt à la pensée, la substance seconde « homme » que j'opposerai aux substances secondes de Médor, Mistigri et Aliboron, en tant qu'ils ne parlent pas. Je peux envisager aussi, Paul, Pierre, Médor et Aliboron en tant qu'ils se reproduisent et qu'ils sont mobiles, et je verrai apparaître à la pensée la substance seconde « animal » qui les oppose aux substances secondes des fleurs qui sont dans ce vase ainsi que ce vase lui-même.

Ce qui veut dire que les substances secondes ne sont en réalité pas des substances du tout, ce ne sont aucunement des impénétrables : ce sont des étiquettes visant à désigner des combinaisons fixes et spécifiques (génériques) de pénétrables. Les substances secondes sont des astuces qui permettent selon l'expression d'Ernest Mach, une « économie de la pensée » (Mach 1960 [1883] : 577-582), par le regroupement de substances premières sous une étiquette unique. L'économie résidant en ceci, que lorsque j'aurai dit d'Anatole qu'il est un « homme », tout quiconque pourra en inférer légitimement qu'Anatole parle - à moins qu'un attribut accidentel d'Anatole en tant qu'individualité singulière soit précisément qu'il ne parle pas : qu'il soit muet (11).

Or, la distinction entre substance première et substance seconde ouvre une voie qu'Aristote n'a pas pu connaître pleinement du fait qu'elle n'a pris son véritable essor dans la pensée qu'à une époque ultérieure. Je pense à la possibilité de situer les substances secondes les unes par rapport aux autres au sein d'une construction hiérarchique pour tirer parti de cette « économie de la pensée » qui consiste à pouvoir faire retomber en cascade, à faire « hériter » par chaque niveau, les pénétrables qui caractérisent « en bouquet » - comme constituant leur essence -, chacun des niveaux supérieurs. Moi-même, substance première, appartiens à la substance seconde homme, qui appartient elle-même à la substance seconde mammifère, qui appartient à la substance seconde vertébré, et ainsi de suite. Du fait que je suis homme on peut inférer légitimement que je parle, du fait que je suis mammifère on peut inférer que la femelle de mon espèce allaite, du fait que je suis vertébré on peut inférer que je dispose d'un squelette interne, et ainsi de suite (12).

Une telle hiérarchisation peut être également imposée aux pénétrables, mais elle ne donne lieu alors qu'à des hiérarchies de faible profondeur : rouge, vert et bleu sont sans doute des couleurs, mais il faut s'arrêter là. Tandis que pour les substances, les degrés de hiérarchisation sont en principe illimités. Le principe consistant à étiqueter comme substances secondes de substances premières, des noeuds dont l'essence est déterminée par un « bouquet » de pénétrables, ne s'exerce pas de la même manière pour les hiérarchisations des pénétrables : on ne constate pas ici l'héritage en cascade des attributs essentiels. Si les hommes parlent et que je suis un homme, on peut supposer que je parle, mais si les tomates sont rouges et que rouge est une couleur, il n'est pas vrai pour autant que les tomates sont des couleurs.

Le rôle que joue la substance première dans le système d'Aristote lui est propre. Dans les termes de Ross : « La primauté de la substance individuelle est l'un des points les plus stables de la pensée d'Aristote - le point par lequel il diverge le plus clairement de la doctrine de Platon » (Ross 1923 : 24). Son approche en termes de catégories présuppose en réalité une matérialité à ce qu'il appelle les substances. On comprend mieux du coup le sens de certaines des querelles qui agitèrent la Scolastique : la possibilité de construire une hiérarchie en termes de substances secondes implique-t-elle automatiquement la matérialité des substances premières qu'elles dénotent ? « Combien d'anges sur la pointe d'une aiguille ? », s'interrogent les Scolastiques : une infinité si les anges sont sans matérialité, un nombre fini, éventuellement immense, s'ils possèdent une matérialité ne serait-ce que « subtile », « éthérée », pour utiliser quelques-uns des termes qui seront alors utilisés (13).

Ce présupposé de matérialité attaché à la notion même de substance première souligne que la tentative d'une détermination du terme isolé, « non-combiné », chez Aristote est la conséquence d'un préjugé physiciste : il considère a priori les termes comme reflets du monde sensible. On peut noter à ce propos que la possibilité même d'une dérive dans les interprétations qui ont été faites de son oeuvre provient d'une particularité de l'Organon : le tiraillement conceptuel propre à cet ouvrage entre deux modèles distincts des fonctions du langage qui sont sinon contradictoires du moins conflictuels. D'une part, une tentative de phénoménologie de la capacité des mots à faire sens par leur simple composition en séquences, d'autre part une théorie du langage en tant qu'outil de description du monde sensible. Autrement dit, d'une part une tentative de physique de l'univers autonome que constitue l'ensemble des mots d'une langue, d'autre part une représentation du langage comme reflet plus ou moins fidèle de la physique qui règle le monde sensible lui-même.

Il ne faudrait pas supposer pour autant que la démarche aristotélicienne des catégories, qui consiste à prendre son départ dans le terme « non-combiné » est pour autant dénuée d'intérêt. Sans doute, le terme « non-combiné » n'est envisagé comme tel qu'artificiellement. Mais l'examen qui vient d'être fait a permis de dégager deux objets distincts dont on peut faire son profit lorsqu'on vise à modéliser le premier de ces « niveaux d'enrobage » que j'ai évoqués, celui où se constituent ces noyaux que sont le sujet et le prédicat du jugement.

La tentative faite par Thomas d'Aquin de classer les anges et de juger à cette occasion de leur matérialité, peut nous sembler aujourd'hui sinon risible du moins vaine. Or, ce qu'il parvint à établir n'est pas sans conséquence dans l'histoire de la pensée : des hiérarchies complexes peuvent être construites pour de purs concepts, sans qu'il faille se soucier de la matérialité ou de l'immatérialité des objets classés. De plus, ces objets bénéficient par une « économie de la pensée » inhérente à ces structures - et quelque soit leur degré d'abstraction - d'un héritage automatique des attributs essentiels de chacun des objets plus généraux qui les surmontent (qui les « précèdent »). Ou bien, le phénomène étant observé dans la direction opposée, c'est-à-dire de bas en haut, chaque concept recueille comme attributs essentiels, l'intersection, la partie commune, des attributs essentiels des objets qui se trouvent immédiatement en-dessous de lui. Selon la formule de Jean Scot Érigène, synthétisée par Étienne Gilson : « Toute division est une descente d'un principe un à d'innombrables espèces particulières, et elle se complète toujours par une réunion qui remonte des espèces particulières jusqu'à leur principe » (Gilson 1922 : 15). Sachant que les mammifères et eux seuls ont des mamelles, savoir que le tigre est un mammifère, permet d'inférer qu'il a des mamelles. Inversement, sachant que le tigre et le lion ont des mamelles, il est permis de les considérer comme exemples de mammifères.

Si l'on se tourne alors à nouveau vers les catégories aristotéliciennes, il est permis de tirer parti de la distinction que le Stagirite établit parmi elles entre d'une part la catégorie de substance et d'autre part l'ensemble des autres catégories, et affirmer que cette distinction signifie la chose suivante : il existe pour tous ces mots susceptibles d'apparaître soit comme sujet, soit comme prédicat dans une phrase (les substantifs, adjectifs, verbes, ce que la pensée scolastique appellera les catégorèmes [14] ), un double réseau qui leur est sous-jacent et dont on peut décrire la forme. Quelle que soit la matérialité ou l'immatérialité du significat d'un catégorème, il est relié aux autres catégorèmes du réseau d'une des deux manières suivantes, soit de manière réticulaire à un autre catégorème qui représente alors l'un de ses attributs au sein d'une des neuf catégories aristotéliciennes autres que la substance, soit comme élément d'une hiérarchie propre à la catégorie aristotélicienne de la substance (abstraction faite de l'implication de matérialité), et disposant dans ce cas de la capacité d'hériter des concepts qui le surmontent (qui le « précèdent »), les attributs dont ceux-ci disposent de manière réticulaire, et de la capacité inverse de faire hériter les concepts qu'il surmonte (qui le « suivent ») de ses propre attributs.

Autrement dit, et dans une perspective plus formelle, les catégorèmes existent au sein d'une double structure, l'une, hiérarchisée, correspondant à un treillis, et l'autre réticulaire, correspondant à un graphe orienté. Chaque concept, en tant qu'il fait partie du treillis hérite des attributs des objets qui l'y précèdent en tant que ceux-ci font partie du graphe orienté. Dans la langue française, quand ce sont deux substantifs qui sont connectés, l'inscription dans le treillis se signale par l'usage de la copule « être » : « la taupe est un rongeur », et l'inscription dans le graphe orienté, le plus souvent, par l'usage de la pseudo-copule « avoir » : « la taupe a de petits yeux » (15). Les traits que j'ai décrits en 1989 comme étant propres à la « mentalité primitive » (Jorion 1989), peuvent être éclairés dans la perspective développée ici, par le fait que les structures homomorphes aux treillis y sont quasiment absentes.

 

Le jugement comme « enchaînement associatif »

L'ordre dans lequel nous sont proposés aujourd'hui les ouvrages composant l'Organon suggère qu'Aristote avait choisi de procéder du concept au jugement, et du jugement au syllogisme. Cet ordre ne constitue cependant certainement pas un ordre chronologique de rédaction puisque, par exemple, l'Herméneutique renvoie aux Analytiques et aux Topiques), à moins que - comme le supposent certains commentateurs - l'Organon tout entier ne soit qu'un compendium de notes d'auditeurs de leçons professées par le philosophe. Si l'ordre admis des livres avait été voulu par Aristote lui-même, il y aurait là cependant à mon sens une erreur méthodologique. Rien de plus « logique » a priori que de partir du terme isolé, de l'examiner ensuite dans son fonctionnement par paires, et de découvrir enfin l'effet proprement miraculeux qui consiste dans l'engendrement d'une nouvelle paire de concepts à partir de deux autres. Mais ce qui fait précisément qu'existe la pensée, c'est ce « miracle » du syllogisme, et c'est lui qui est fondateur de la pensée.

Le traitement proposé par l'Organon, tel qu'il nous est parvenu, est progressif, partant du terme isolé pour aboutir au discours. L'existence du mot comme entité isolable (du moins lorsque la parole devient écriture) encourage dans cette voie. La capacité du mot à servir d'étiquette d'un objet - d'une substance - dans le cas très spécifique du nom concret, semble justifier cette approche. Pourtant, la démarche d'Aristote lorsqu'il évoque les mathématiques aurait pu l'encourager à adopter la même démarche dans sa théorisation de la pensée discursive, je veux dire qu'il aurait pu partir du discours entier et complet comme étant la « donnée élémentaire » et descendre ensuite de degré en degré jusqu'à parvenir à la « brique » que constitue le mot. C'est de cette manière que procède également aujourd'hui la théorie des ensembles, qui envisage comme donnée première l'ensemble, pour parvenir par un enchaînement d'étapes successives jusqu'au nombre - considéré comme aboutissement ultime.

Que dit Aristote à propos de l'arithmétique (16) ? Qu'il s'agit du point d'arrivée, lorsque l'on part de la description du monde naturel, de la mécanique physique, que l'on simplifie, que l'on stylise cette première description par la géométrie dans l'espace, ensuite celle-ci par la géométrie plane, et finalement cette dernière par l'arithmétique, qui ne voit plus que des symboles (vides de sens) là où il y avait au point de départ des choses (significatives) (cf. Métaphysique M 3 ; Kojève 1968 : 168).

Le mouvement « rétrograde » paraît dans ce cas-ci naturel : le monde physique est concret, l'objet mathématique abstrait. On part de la chose significative pour aboutir en fin de course au symbole vide. Mais n'a-t-on pas affaire, avec la pensée discursive exactement au même phénomène ? Ce qui est significatif, au-delà de tout doute possible, c'est le discours dans son entier. La phrase envisagée indépendamment de son contexte fait en général problème. Quant au mot individuel, il n'a de signification comme telle que dans quelques cas exceptionnels. Sans prédication, le sujet n'est qu'un être fictif (en termes hégéliens, le sujet est particularité, la prédication le met en rapport avec l'universalité des catégories aristotéliciennes [17] ).

La pensée aristotélicienne relève d'une logique associationniste, il suffit pour s'en convaincre de consulter le Parva Naturalia consacré à la mémoire et à la remémoration : « ... on passe rapidement d'une étape à la suivante ; par exemple du lait au blanc, du blanc à l'air, de l'air à l'humidité ; et c'est ainsi que l'on se souvient de l'automne, si c'est là la saison dont on essaie de se souvenir » (De la mémoire et de la remémoration, II, 12-16). Or, lorsqu'on regarde de quelle manière Aristote examine le concept, c'est-à-dire, le terme « non-combiné », on s'aperçoit en réalité qu'il n'y parvient pas : la démarche qui est la sienne consiste à définir des catégories, des modes de prédication. Et chacun des prédicats, est en fait dit d'un sujet ; ce qui signifie qu'Aristote n'arrive à parler du terme « non-combiné » qu'à partir des termes « combinés » que sont un prédicat dit d'un sujet. La « non-combinaison » signale de manière criante son impossibilité, du moins sous l'angle d'attaque qu'adopte Aristote. L'unité de signification est sans conteste le jugement où deux concepts sont combinés - probablement selon l'une des dix formes que répertorient les catégories - mais toute tentative de traiter comme séparables sujet et prédicat est vouée à l'échec : le concept seul est non seulement ni vrai, ni faux, comme il le souligne, mais entièrement dénué de signification.

Bien sûr les substances existent : il y a des « hommes » et il y a des « chevaux », mais non qualifiés, non-combinés d'une manière ou d'une autre, ils ne sont rien que des fictions de la langue. C'est cette constatation (faite avant moi par Hegel ; cf. Jarczyk 1980 : 57) qui m'avait conduit dans Principes des systèmes intelligents à définir la signification d'un terme isolé, d'un concept comme « l'ensemble des enchaînements associatifs (jugements) où il intervient » (Jorion 1990 : 90), figuration « en étoile », rayonnante autour de lui, de l'ensemble des termes qui lui sont prédiqués ou qu'il peut prédiquer lui-même, constituant cette constellation ou ce complexe (les deux termes sont de Jung ; le second fut repris par Freud) qui est la partie du réseau mnésique (le sous-graphe) qu'un concept détermine et qui se confond avec sa signification.

 

Le syllogisme

Nous disposons aujourd'hui grâce à Szabo (1969) et à Fowler (1990) du matériau qui nous permet de comprendre le contexte mathématique au sein duquel Platon et Aristote examinèrent les potentialités nouvelles d'un mode de pensée où des jugements pouvaient être liés les uns aux autres en de longs développements méritant pour la première fois le nom d'« argumentation » (j'ai présenté de manière plus approfondie la dimension mathématique de la théorie de la proportion à propos de la théorie aristotélicienne de la formation des prix ; Jorion 1992)

.Pour la première fois donc dans cette Grèce du Ve siècle av. J.-C., est analysé l'enchaînement associatif constitué au minimum d'un sujet, d'un prédicat, et d'un opérateur connectant les deux de manière symétrique ou antisymétrique. La possibilité d'une telle liaison réversible ou irréversible étant ouverte en grec, mais non dans d'autres univers linguistiques, où le rapport entre « choses » est par nature symétrique et donc réversible.

Des débats infinis ont été consacrés au sens du mot grec logos. Carlo Natali note par exemple, « Parmi les nombreux sens que le terme logos a chez Aristote (...) logos en tant qu'argument simple, à l'aide duquel on soutient ou l'on attaque une thèse, et logos en tant que discours, c'est-à-dire ensemble composé d'une série d'arguments simples disposés d'une manière organisée. » (Natali 1986 : 112-113) (18). En réalité, le mot ne véhiculait sans doute pas les ambiguïtés qui nous semblent aujourd'hui les siennes : c'est faute d'un concept équivalent que nous, Modernes, nous révélons incapables de le traduire comme une notion claire.

Le Grec, contemporain d'Aristote, désigne principalement du terme de logos, précisément, le jugement constitué au minimum d'un sujet, d'un prédicat et d'un opérateur connectant les deux de manière symétrique ou antisymétrique. Mais lorsque le mot est utilisé de manière plus technique, il renvoie de manière spécifique à une variété de l'enchaînement associatif : l'enchaînement antisymétrique.

A l'époque, les distinctions entre approches formelles de domaines divers étaient beaucoup moins spécialisées qu'aujourd'hui. La notion de « proportion » (analogia), par exemple, trouvait à s'appliquer, non seulement en mathématiques, mais aussi en musique, également à la pratique du raisonnement chez de nombreux philosophes, et, par Aristote, à d'autres domaines disparates comme la justice (Ethique à Nicomaque) ou la formation des prix (voir Jorion 1992).

Donc, la mise en présence de deux logon à des fins d'évocation, est une analogia, c'est-à-dire, la proportion sous la forme qu'elle prend dans la pratique discursive. Au sein du monde mathématique proprement dit, où ce sont des nombres ou ce que nous appellerions aujourd'hui des symboles algébriques qui constituent l'analogia, l'équivalent de l'enchaînement associatif discursif est un rapport, un taux, ou encore, dans la langue technique des mathématiciens, une raison. Voilà pourquoi logos se traduit raison en mathématiques comme en philosophie. Une analogia mathématique est ce à quoi nous renvoyons encore aujourd'hui comme à une proportion.

Rappelons qu'une proportion (qu'elle soit discursive ou mathématique) se compose de quatre termes disposés de la manière suivante : a (majeure) est à b (premier moyen terme) comme c (deuxième moyen terme) est à d (mineure). Si les quatre termes sont distincts, la proportion est dite discrète. S'il existe un seul moyen terme, c'est-à-dire s'il n'y a que trois termes distincts (a est à b comme b est à c), elle est dite continue. Dans une proportion continue, le moyen terme est une moyenne (meson). Deux exemples mathématiques illustrent ceci parfaitement : la moyenne géométrique (8 est la moyenne géométrique entre 16 et 4 : 16 / 8 = 8 / 4) et la moyenne arithmétique (10 est la moyenne arithmétique entre 16 et 4 : 16 - 10 = 10 - 4).

Dans le mode discursif, il existe quatre modes à l'analogia, selon que les enchaînements associatifs mis en présence sont tous deux antisymétriques, tous deux symétriques, le premier antisymétrique et le second symétrique, ou l'inverse. Si l'analogia est discrète, si les quatre termes sont distincts, elle correspond très exactement à ce que nous appelons aujourd'hui analogie et que les Grecs appelaient paradigme. Comme telle, l'analogie possède certaines potentialités pour le raisonnement qui furent relevées par Aristote. L'analogie autorise, par exemple, des rapprochements entre des « choses » différentes (appartenant au même genre ou à des genres distincts) en mettant en évidence des rapports semblables (homomorphismes) et à ce point de vue elle dispose d'un pouvoir heuristique : elle peut favoriser la découverte. Ainsi, il peut être éclairant de considérer que « la vue est à l'oeil ce que la raison est à l'esprit ». Aristote note cependant que l'analogie est un outil démonstratif faible (Lloyd 1966 : 408-409).

Par ailleurs, les termes parallèles (majeure et seconde moyenne, première moyenne et mineure) peuvent se représenter l'un l'autre pour un usage d'évocation figuratif, sous le nom de métaphore. Dans la Métaphysique, Aristote « affirme que la description par Empédocle de la mer comme sueur de la terre est "peut-être adéquate à des fins poétiques", mais "inadéquate pour la compréhension de la nature de la chose" » (ibid. 403). Aristote condamne l'usage de la métaphore en raison de son obscurité dans le raisonnement et plus particulièrement dans la définition. Il justifie la métaphore lorsqu'elle exprime une authentique proportion, mais il la considère avant tout comme un ornement de style (ibid. 404-405).

Si l'analogia est continue, elle permet qu'une relation directe s'établisse entre la majeure et la mineure sous la forme d'une « conclusion » porteuse d'information neuve. Nous avons alors affaire au syllogisme (ou à l'enthymème si le contexte est dialectique et l'usage par conséquent rhétorique ; voir note 6). Le terme moyen est dans ce cas, et à proprement parler, la raison qui autorise le syllogisme, et celui-ci, en tant que tel, est raisonnement. Dans les termes de Hamelin, que je peux me contenter ici de citer : « Le savoir se formule dans des propositions qui sont des conclusions de syllogismes : telle, par exemple, cette proposition que l'angle inscrit dans un demi-cercle est droit. Cette proposition consiste à attribuer le majeur du syllogisme au mineur. Or, en tant que cette proposition est la conclusion d'un syllogisme, elle possède un caractère qui lui fait défaut quand on la considère comme un simple jugement : c'est que l'attribut y a été rattaché au sujet par une raison. Et cette raison, c'est précisément le moyen terme qui la représente (...) ... la grande idée qui fait tout l'essentiel du syllogisme, c'est précisément celle qui fait défaut chez Platon, c'est l'idée que raisonner consiste à donner une raison, à fonder sur une raison l'union des deux termes du jugement ; c'est l'idée de la preuve et de l'explication, l'idée de l'affirmation ou de la négation médiatisée » (Hamelin 1985 [1905] : 173 & 175).

 

L'adhésion

Je reviens maintenant sur une affirmation péremptoire énoncée plus haut : que le talon d'Achille de l'Organon réside dans la manière dont Aristote a traité en termes de véracité une dimension propre à la pensée discursive : celle qui marque l'adhésion du sujet parlant au contenu des énoncés qu'il prononce, dimension que l'on traite aujourd'hui de manière inappropriée en tant qu'objet de la pragmatique.

Dans Principes des Systèmes Intelligents, j'ai rapproché le concept de vérité dans la culture occidentale de celui de k'o dans la culture extrême-orientale, pour souligner dans une perspective transculturelle, qu'il existe au discours d'autres étalons que ceux de la vérité et de la fausseté. Je rappelle que k'o renvoie au « convenable ». De la même manière que chez nous un discours doit être vrai, en Orient classique un discours doit convenir (Hansen 1983 : 59). Pour nous « la neige est noire » est faux parce que la neige est en réalité « blanche ». En Chine ancienne, « Tout le monde aime le prince » n'est pas k'o, car s'il est convenable d'affirmer une telle chose pour la plupart des sujets du Prince, la phrase serait inconvenante dans la bouche de sa propre soeur, et ne doit donc pas être prononcée.

L'adhésion est une dimension qui sous-tend la totalité du discours, elle exerce donc son pouvoir aussi bien sur des phrases simples (propositions atomiques) que sur des phrases articulant de nombreux éléments (propositions moléculaires). Elle consiste pour un sujet parlant à identifier de manière plus ou moins marquée sa personne et le contenu qu'il rapporte. L'adhésion marque l'engagement de celui qui énonce par rapport à ce qu'il énonce, c'est-à-dire qu'elle indique vis-à-vis d'un interlocuteur la disposition de celui qui prononce une phrase à négocier comme savoir établi ou non le contenu des propositions qu'il énonce (cf. Jorion 1990 : chapitre 21). Soit, pour reprendre un exemple extrait de l'ouvrage cité, un ensemble de phrases classées par degré d'adhésion décroissant:

Je crois en Dieu

Je sais que Dieu existe

Je crois que Dieu existe

Je croyais que Dieu existait

On m'a dit que Dieu existait

Il m'a dit « Dieu existe » (ibid. 148).

L'enrobage le plus superficiel de la phrase (celui qui intervient probablement en dernier dans le processus effectif d'énonciation de la proposition individuelle) module l'adhésion du sujet parlant au jugement qui suit l'expression de cette modulation ; par exemple, « Je crois que l'Homme est bon par nature ». Le « Je crois » introductif fournit une indication essentielle quant à l'engagement, à l'identification de celui qui parle à ce qu'il dit. « Il est vrai que l'Homme est bon par nature », fournit une indication qui doit être située sur le même plan, et c'est par conséquent dans une perspective de ce type que la question de la véracité des énoncés doit être abordée. Mais pour comprendre comment exactement, il est préférable d'aborder la question par un biais, en réservant la question du vrai et du faux pour la fin.

On s'étonne aujourd'hui qu'Aristote aborde dans les Premiers Analytiques, au beau milieu de sa discussion du syllogisme, des questions qui sont considérées maintenant comme relevant d'une variété tout à fait particulière de la logique : la logique modale. Or, il est à mon sens tout à fait significatif que les questions que cette logique spéciale soulève, à savoir le statut d'une phrase par rapport au possible et à l'impossible, au nécessaire et au contingent, ait été envisagée par Aristote de manière parallèle à leur statut par rapport au vrai et au faux.

On sait qu'Aristote s'efforça de dégager la phénoménologie propre aux propositions qui affirment de certains faits qu'ils sont soit nécessaires, soit contingents. De telles propositions semblent en effet poser des problèmes tout particuliers, tels que savoir si la négation de « il est nécessaire que tout A soit B », est soit, « il n'est pas nécessaire que tout A soit B » (équivalant à « il est contingent que tout A soit B »), soit « il est nécessaire que nul A ne soit B ».

Or, dans une perspective qui s'apparente à l'interprétation du calcul des probabilités selon Condorcet lorsqu'il évoque la probabilité comme un « motif de croire » (Rashed 1974 : 58-63), ou à celle que Bayes défendit dans son interprétation « subjective » des probabilités (Bayes 1958 [1763]), on peut considérer l'expression d'un fait comme étant contingent ou comme étant nécessaire, comme reflétant le degré dans lequel un sujet parlant adhère au fait qu'il présente de cette façon. L'expression de la nécessité reflète en effet un engagement personnel majeur de la part du locuteur, alors que celle de la contingence reflète au contraire un engagement minimal de type « ni oui, ni non ». Or, on verra tout à l'heure que le lien qui existe entre le nécessaire et le contingent est parallèle à celui qui lie le vrai et le faux.

Dans la perspective de l'adhésion d'un sujet parlant aux propositions qu'il énonce, il est possible de répondre à la question posée plus haut quant à la négation de la phrase, « Il est nécessaire que tout A soit B ». Il suffit pour cela de transposer la phrase en une autre exprimant un degré d'adhésion équivalent, par exemple « Je suis convaincu que tout A est B ». Et l'on peut procéder de même par rapport aux deux formes possibles de sa négation. « Il n'est pas nécessaire que tout A soit B » (qui équivaut à « il est contingent que tout A soit B »), devient alors « Je ne suis pas sûr que tout A soit B ». Alors que « il est nécessaire que nul A ne soit B », se transpose dans une perspective d'adhésion en « Je suis convaincu que nul A n'est B ».

La première « négation », celle qui transforme le « il est nécessaire que... » en « il n'est pas nécessaire que... », équivaut au passage de « je suis convaincu que... » à « je ne suis pas sûr que... » et exprime donc un simple affaiblissement de l'adhésion du locuteur plutôt qu'une authentique négation d'un contenu. La deuxième négation - celle qui porte sur le jugement enchâssé -, maintient le degré d'adhésion constant (celui que je paraphrase en « je suis convaincu que... »), et nie la proposition introduite de cette manière. La négation de « Il est nécessaire que tout A soit B » est donc « Il est nécessaire que nul A ne soit B ». « Il n'est pas nécessaire que tout A soit B », de son côté ne constitue qu'une variation sur « Il est nécessaire que tout A soit B » par réduction du degré d'adhésion (19).

Si l'on veut bien me suivre dans ce « rabaissement » apparent de toute question modale à une problématique d'adhésion, on n'aura aucune difficulté à envisager dans la même perspective le couple antithétique, « Il est vrai que... », « il est faux que... ». Ici encore, l'enrobage superficiel de la phrase qu'il signale marque avant tout l'engagement du locuteur vis à vis du jugement qui suit l'expression de cet engagement dans la phrase. La perspective historique vient soutenir cette vision lorsqu'on observe que Platon d'abord, Aristote ensuite, invoquent la question de la vérité dans une perspective avant tout polémique, et principalement pour se défaire de l'objection sceptique fondamentale des Sophistes lorsque ceux-ci soulignent l'insuffisance de la non-contradiction interne d'un discours à assurer sa non-contradiction avec d'autres discours qui prennent leur départ dans des prémisses identiques. Or, Aristote avait assigné à la dialectique la tâche de définir une méthode qui permette d'éviter la non-contradiction, et il avait fait débuter ses Topiques par l'avertissement suivant : « L'intention du présent traité est de découvrir une méthode par laquelle nous serons à même de raisonner à partir d'opinions généralement admises à propos de tout problème qui nous est soumis et qui nous évitera, quand nous développerons une argumentation, de dire quoi que ce soit d'(auto-) contradictoire. » (Topiques, 100 a 18).

Vaincre un adversaire lors d'un débat consistera dès lors, soit à mettre en évidence le ou les défauts de compatibilité apparus dans la suite de ses enchaînements associatifs, ce qui l'obligera à reprendre son argumentation ou à se taire, soit à tenir soi-même un discours à ce point cohérent (non-contradictoire), qu'un contradicteur éventuel ne pourra que le répéter ou bien se taire. Comme le fait remarquer Kojève, c'est cette stratégie que Platon et Aristote utilisèrent contre les Sophistes : « On peut (...) dire que toute la philosophie (parathétique) de Platon (et d'Aristote) avait pour but de faire taire les Rhéteurs, en leur disant quelque chose qu'ils ne pourraient plus contre-dire et devraient se contenter de re-dire. » (Kojève 1968 : 347).

De ce point de vue, le coup de force aristotélicien consiste à déplacer la question de la vérité ou de la fausseté de sa localisation d'enrobage superficiel de la phrase, telle qu'elle trouve son expression dans les « Il est vrai que... », « il est faux que... » introductifs à l'expression du jugement, pour en faire l'équivalent d'une « doublure » intrinsèque à toute proposition. Il sera admis désormais qu'indépendamment de l'expression subjective et polémique des « il est vrai que... » et « il est faux que... », une proposition peut être considérée effectivement en soi comme vraie ou comme fausse.

Dans la mesure ou l'évaluation du vrai et du faux nous est davantage familière, dans la pratique quotidienne de la langue, que celle du contingent et du nécessaire, le parallèle existant entre les couples vrai / faux et nécessaire / contingent apparaît maintenant avec davantage de clarté. Le nécessaire s'oppose au contingent comme le vrai au vrai ou faux. De même, l'impossible s'oppose au possible comme le faux au faux ou vrai. Le double couple d'opposition nécessaire / contingent et impossible / possible, découle de la focalisation sur la détermination (« vrai » et « faux ») par rapport à l'indétermination (« vrai ou faux » et « faux ou vrai »). D'où la confusion établie par le langage courant entre les notions extrêmement proches du contingent (en tant que « vrai ou faux ») et du possible (en tant que « faux ou vrai »).

Puisque, d'une manière générale, le jugement présenté comme tel, c'est-à-dire sans introduction préalable explicite du degré d'adhésion de celui ou celle qui le prononce, est un jugement auquel adhère celui qui l'exprime, le « il est vrai que... » qui pourrait l'introduire est sous-entendu. Ce n'est qu'en réponse à un contradicteur éventuel qui lui opposerait un « il est faux que... », que le « il est vrai que... » interviendrait comme objection (« il est vrai que... » est également utilisé pour séparer en ses éléments constitutifs une inférence jugée douteuse par un opposant : « il est vrai que X, mais il est faux qu'Y en découle » ; cf. Jorion & Delbos 1985 : 89). Ce que met en évidence le passage de l'expression polémique du caractère vrai ou faux du jugement à son expression jugée implicite et, comme je l'ai dit, comme « doublure » intrinsèque du jugement, c'est le caractère inévitable de la dimension d'adhésion, puisque tout ce qui est dit, est dit par nécessité par quelqu'un. Il existe en effet pour tout discours - quelque soit par ailleurs son caractère apparent d'anonymat, quelqu'un quelque part qui l'a émis et qui y a adhéré dans un certain degré. Ce sont les pouvoirs qui sont conférés à ce quelqu'un dans un certain rôle au sein d'une structure sociale spécifique qui peuvent à l'occasion gommer l'évidence de cette adhésion en la soutenant d'une dimension collective et statutaire dont l'évidence pourra passer pour naturelle.

On doit ainsi « relativiser » la fonction de toute logique dite formelle : ce qu'elle autorise par ses règles ce n'est nullement d'assurer la vérité d'inférences concaténées, mais plus simplement de maintenir constant tout au long de la chaîne, le degré d'adhésion qu'un sujet parlant à marqué à ses prémisses (voir Jorion 1994 pour un développement de ce point). Autrement dit, la logique définit les conditions selon lesquelles le degré d'adhésion peut être assuré de se maintenir constant, sans qu'il ait à être réévalué à chacun des pas de la chaîne d'inférences. En termes plus imagés, la logique permet, par exemple, de « croire très fort » à un jugement qui découle de manière mécanique d'un jugement initial auquel l'on « croyait » déjà « très fort ». Mais elle autorise tout aussi bien à considérer comme « bien possible » un jugement qui constitue l'aboutissement d'une suite d'inférences dont le premier jugement n'était lui-même également que « bien possible ».

Lorsqu'Aristote oppose une analytique à une dialectique, sur la base d'une distinction qu'il établit entre les arkè, fondateurs de l'analytique, qui seraient garantis par l'évidence du sens commun, et des prémisses simplement vraisemblables, c'est-à-dire privées de l'assentiment commun, il ne fait que prolonger la démarche polémique qui a consisté à déplacer la question de la vérité et de la fausseté, de l'adhésion personnelle du locuteur vers la signification intrinsèque de la phrase. Ce glissement a lieu à l'occasion d'un processus d'objectivation qui masque les rapports de force entre locuteurs, dont la détermination personnelle est sans doute partiellement motivée par la rigueur de leur argumentation, mais à l'intérieur seulement d'un cadre social préétabli qui donne a priori plutôt raison aux uns qu'aux autres : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous feront blanc ou noir », disait La Fontaine (on trouvera une explication de ce rapport de force en termes de risque social dans Jorion 1995).

Il est alors permis de traiter dans la perspective de l'adhésion, une aporie classique, le paradoxe du menteur dont on n'ignore pas le rôle qu'il a joué dans la philosophie contemporaine puisqu'il a conduit Russell à mettre au point sa théorie des Types logiques (Kneale & Kneale 1986 [1962] : 656-657). Dans une perspective d'adhésion, le paradoxe se dissout de lui-même. Je rappelle sa forme classique. Ses prémisses sont:

Epiménide dit que les Crétois sont des menteurs,

Epiménide est lui-même Crétois.

Une inférence possible en guise de conclusion est « Donc Epiménide est menteur », et l'on est alors tenté de poursuivre : « s'il est menteur, il ment en particulier quand il dit que les Crétois sont des menteurs, donc les Crétois disent la vérité, et Epiménide étant Crétois dit la vérité quand il dit que les Crétois sont des menteurs », etc. En conséquence de quoi il est à la fois vrai que les Crétois mentent et qu'ils disent la vérité.

Pourquoi le paradoxe se dissout-il au sein de l'approche développée ici ? En raison de la problématique même de l'adhésion. La première prémisse affirme que « Epiménide dit que les Crétois sont des menteurs », la seconde affirme que « Epiménide est Crétois ». Pour illustrer le fait que l'adhésion exprime le degré d'identification d'un locuteur aux paroles qu'il prononce, j'ai donné tout à l'heure comme exemples, une suite de propositions s'échelonnant de l'adhésion maximale qu'exprime « Je crois en Dieu », à l'adhésion minimale qu'exprime « Il m'a dit "Dieu existe" ». La citation pure et simple renvoie à l'engagement minimal de celui qui la rapporte. Le locuteur qui se contente de citer s'abstient en réalité de tout jugement quant à la vérité ou à la fausseté de ce qu'il rapporte. « Epiménide dit que les Crétois sont des menteurs », appartient de manière typique au genre de la citation et quiconque relate sous ce mode les propos d'Epiménide comme étant sans plus ceux de cet individu, suggère par là-même qu'il est lui, locuteur, sur cette question, sans opinion.

La deuxième prémisse « Epiménide est Crétois », ne jouit pas du même statut, elle est présentée, telle qu'elle, sans modulation de l'adhésion de celui qui l'énonce. Ce qui veut dire que l'énonciateur y adhère comme quelqu'un qui la tient pour vraie. Le syllogisme sous-jacent à l'aporie a donc pour prémisses deux propositions, la seconde que le locuteur présente comme vraie, et la première pour laquelle il prend soin en réalité de faire savoir qu'il ne s'engage en rien quant à son statut de vérité - se contentant de la rapporter. A partir de là, il n'y a donc strictement rien à tirer, la première prémisse ayant été présentée comme impossible à juger sans équivoque comme étant soit vraie soit fausse.

Celui qui refuse de me suivre pourra dire que le statut attribué ici à la citation relève non de considérations logiques (qui seraient ce dont on parle) mais de considérations pragmatiques (qui seraient nécessairement périphériques). J'ai soutenu ailleurs (1990 : 22) que la catégorie de la pragmatique ne renvoie à aucun contenu positif : en tant que catégorie « croupion » de la linguistique, elle se contente d'entériner le fait établi que ni la syntaxe, ni la sémantique, ni la logique, séparément ou prises ensemble, ne parviennent à rendre compte du fonctionnement du langage tel qu'il existe dans sa pratique c'est-à-dire en lui-même.

 

Conclusion

J'ai tenté ici, dans un exposé qui se voulait à la fois historique et programmatique, d'extraire du contexte qui est devenu au fil des siècles celui de sa lecture classique en tant que protohistoire de la logique, l'Organon d'Aristote, et de mettre en évidence la linguistique que ce traité recèle en tant que « théorie unifiée de la pensée discursive », dont les linguistiques contemporaines, éclatées en considérations incommensurables d'ordres syntaxique, sémantique, logique et pragmatique, offrent le tableau d'une tentative soldée par un échec.

Le redéploiement de cette linguistique aristotélicienne reste à faire, en suivant le mouvement de sursomption qui fait passer du concept au jugement, du jugement au syllogisme et du syllogisme au discours tout entier où un sujet s'engage à chacun des jugements énoncés en le marquant de son adhésion modulée dans un certain degré.

 



Notes

1) « ... il n'y a de science que de l'universel » (Métaphysique, M, 10, 32-3).

2) La première autonomisation eut lieu longtemps avant qu'Aristote n'étudie les lois de la pensée discursive. Qu'est-ce donc que la Mathématique, sinon l'autonomisation, la constitution en domaine propre, de ce qu'Aristote appelle la catégorie de la quantité ? (voir Jorion 1994).

3) Hegel : «... il s'agit des tours suivants lesquels la contradiction est produite dans la représentation, - dans le cours inconscient de la pensée au sein de ce qui est matériel, où elle se met en contradiction constante avec elle-même. » (Hegel 1972 [1829-30] : 601).

4) cf. la note de Jean Hyppolite dans sa traduction de la Phénoménologie de l'esprit, 1941 : 19-20.

5) Dans les termes de Hamelin : «... pour désigner l'expression du jugement, Aristote est en possession de deux termes au moins : apophansis et protasis. Mais apophansis désigne la proposition en tant qu'elle est prise en elle-même. (...) L'usage du mot protasis est réservé aux Analytiques et aux Topiques, parce que ce mot désigne la proposition en tant qu'elle est destinée à servir de prémisse dans un syllogisme (...). En effet, une protasis est un discours qui est mis en avant (protèinomenos) par celui qui veut préparer une conclusion » (Hamelin 1985 [1905] : 162).

6) Aristote considère en fait, que la rhétorique devrait être considérée comme une « contrepartie » (Rhétorique, I, i) du sujet qu'il traite dans les Topiques : la dialectique ou raisonnement à partir de prémisses vraisemblables. La rhétorique serait cette technique qui viserait à persuader de manière indifférente au contenu (Rhétorique, I, ii) ; si cela était le cas, la rhétorique serait curieusement plus proche d'une logique formelle que l'analytique et la dialectique pour lesquelles, selon Aristote, le contenu, n'est jamais indifférent (cf. Hamelin 1985 [1905] : 111).

7) Hegel disait qu' « En réalité, on ne peut pas triompher de quelqu'un qui veut absolument être sceptique, en d'autres termes, il ne peut être amené à la philosophie positive, - pas plus qu'on ne peut faire se tenir debout un homme paralysé de tous ses membres. » (Hegel 1975 [1829-30] : 760).

8) René Thom va jusqu'à considérer qu'un phénomène aléatoire, se déroulant apparemment au hasard, apparaît tel uniquement parce qu'il est envisagé au sein d'un espace d'une dimensionalité insuffisante : «... quand un phénomène est apparemment indéterminé, on peut s'efforcer de réinstaurer le déterminisme en multipliant l'espace donné U par un espace (interne) S de variables cachées ; on considérera le phénomène initial dans U comme projection d'un système déterministe dans le produit U x S. La statistique, de ce point de vue, n'est pas autre chose qu'une herméneutique déterministe, visant à réinstaurer le déterminisme là où il tombe apparemment en défaut » (Thom 1990 : 76).

9) Hamelin : «... la fonction principale du verbe est précisément d'indiquer la composition, de marquer que quelque chose est ajouté à quelque chose » (1985 [1905] : 155).

10) Selon Sedley, il existe aussi un « principe stoïcien selon lequel un individu qualifié de façon particulière ne peut occuper deux substances - en d'autres termes, Dion ne pourrait pas occuper simultanément deux corps humains séparés. Les Stoïciens soutenaient aussi la réciproque, à savoir que deux individus qualifiés de façon particulière ne peuvent occuper une seule et même substance. » (Sedley 1989 [1982] : 528).

11) C'est là l'apport de Guillaume d'Ockham. Dans les termes de Pierre Alféri : « Il ne faut pas penser le concept comme le rapport à une essence réellement universelle, pas même comme une représentation générale que l'esprit forgerait, mais comme la visée d'une multiplicité en tant que telle, produite au terme d'un véritable processus de mise en série, par la répétition des actes internes, la mémoire. Il ne faut pas penser le concept comme un objet, mais comme un acte de référence en direction des mêmes singuliers qui furent d'abord l'objet d'une intuition : penser le concept comme le signe naturel d'une série, penser l'expérience comme production de signes. (...) Affecté à une série, qui ne saurait, sans lui, se donner comme telle, le signe donne à la multiplicité une unité qui n'est pas numérique, une unité d'un autre type : une unité de signification. » (Alféri 1989 : 9 & 18).

12) Alféri rapportant Guillaume d'Ockham : « Lieux de la dualité entre "être un" et "être plusieurs", les signes permettent un emboîtement indéfini des séries sans aucune confusion : séries de choses, séries de signes signifiant déjà des choses, des ordres sériels distincts et hiérarchisés dans différents genres de discours » (Alféri 1989 : 19).

13) Thomas d'Aquin fera le choix d'une non-corporéité pour les anges, accompagnée d'une absence de matérialité. Ce qui lui permet d'échapper au raisonnement sinon classique qui suppose à partir du mouvement - qu'on ne peut nier aux anges -, la nécessité pour eux d'avoir une forme, et à partir de la forme, la nécessité d'une matérialité (Gilson 1927 : 156), c'est précisément le fait de la hiérarchisation potentiellement infinie des substances secondes. Citons Gilson : « Les docteurs qui veulent introduire une matière dans les substances angéliques s'y trouvent invités par le désir qu'ils éprouvent d'en rendre intelligible la distinction. C'est en effet la matière seule qui fonde la distinction numérique des êtres à l'intérieur de chaque espèce ; si donc les anges sont des formes pures que ne vient limiter et individuer nulle matière, on ne voit pas comment il sera possible de les distinguer. A quoi nous devons répondre simplement qu'il n'existe pas deux anges de la même espèce ; et la raison en est manifeste. Les êtres qui sont de même espèce, mais qui diffèrent numériquement, à titre d'individus distincts compris dans la même espèce, possèdent une forme semblable à des matières différentes. Si donc les anges n'ont pas de matière, il s'ensuit que chacun d'entre eux est spécifiquement distinct de tous les autres, l'individu comme tel constituant ici une espèce à part » (ibid. 158).

L'homme, bien sûr, est obligé de distinguer des « classes » parmi cette multitude innombrable d'espèces d'anges différentes, il reconnaîtra parmi eux, dans un ordre descendant de Dieu vers l'homme, les Séraphins, les Chérubins, les Trônes, les Dominations, les Vertus, les Principautés, les Archanges, et enfin, les anges « gardiens » des hommes, ou anges proprement dits (ibid. 162-164). A cette hiérarchie qui établit une quasi-continuité entre Dieu et l'homme, correspond l'équivalent de cet « héritage des propriétés » qui caractérise les hiérarchies : « Chaque ange transmet à l'ange immédiatement inférieur la connaissance qu'il reçoit lui-même de plus haut, mais il ne la transmet que particularisée et morcelée selon la capacité de l'intelligence qui la suit. » (ibid. 164).

14) Ernest Moody résume très bien la problématique de la manière suivante : « Les signes et les expressions à partir desquels les propositions peuvent être construites étaient divisés par les logiciens médiévaux en deux classes fondamentalement différentes : les signes syncatégorématiques, qui n'ont dans la phrase qu'une fonction logique ou syntaxique, et les signes catégorématiques (à savoir les « termes » proprement dits) qui ont un sens indépendant et peuvent être les sujets ou les prédicats des propositions catégoriques. On peut citer les définitions qu'a donné Albert de Saxe (1316-1390) de ces deux classes de signes, ou de « termes » au sens large. « Un terme catégorématique est celui qui, considéré par rapport à son sens, peut être le sujet ou le prédicat (...) d'une proposition catégorique. Par exemple, des termes comme "homme", "animal", "pierre", sont appelés catégorématiques parce qu'ils ont une signification spécifique et déterminée. Un terme syncatégorématique, quant à lui, est celui qui, considéré par rapport à son sens, ne peut pas être le sujet ou le prédicat (...) d'une proposition catégorique. Appartiennent à ce genre, des termes comme "chaque", "aucun", "quelque", etc. qui sont appelés signes d'universalité ou de particularité ; et semblablement, les signes de négation comme le négatif "ne... pas...", et les signes de composition comme la conjonction "et", et les disjonctions comme "ou", et les prépositions exclusives comme "autre que", "seulement", et les mots de cette sorte » (Logique I).

Au XIVe siècle, il devint habituel d'appeler les termes catégorématiques la matière (le contenu) des propositions, et les signes syncatégorématiques (ainsi que l'ordre et l'arrangement des constituants de la phrase), la forme des propositions. » (Moody 1953 : 16-17).

15) On pourrait dire que la distinction entre les deux parties superposées du réseau est sous-jacente chez Aristote. Divers auteurs l'ont décelée dans ce double recours à « être » et à « avoir », sans bien en saisir le sens. Ainsi, Ross observe que « ... (dans les Premiers analytiques) Aristote formule toute proposition sous la forme "A est B" ou "B appartient à A" » (Ross 1923 : 28) et Hamelin : « .. pour marquer l'attribution Aristote ne dit pas "B est A", mais "à A, B appartient" » (Hamelin 1985 [1905] : 158).

16) Duhem : « Les Mathématiques considèrent les mêmes êtres que la Physique ; mais, en ces êtres, elle suppriment tout ce qui est sensible, la gravité ou la légèreté, la dureté ou la mollesse, le chaud ou le froid, pour n'y plus considérer que la grandeur et la continuité ; par cette abstraction, elles constituent l'objet propre de leur spéculation. De même, la Physique, étudie les êtres et leurs principes non pas en tant qu'êtres, mais en tant qu'ils sont mobiles, qu'ils sont sujets au changement, qu'ils peuvent s'engendrer ou périr. Par une abstraction plus radicale, la Philosophie première délaisse en ces êtres tout ce qui est génération, modification, corruption ; purement et simplement, elle les considère en tant qu'êtres et, par là, s'élève à la connaissance générale de l'être. » (Duhem 1965 : 137).

17) Jarczyk : « En fait, l'exigence d'unité que porte en soi le jugement (étant donné qu'il se pose à l'intérieur même de cette unité) donne au sujet toute sa signification : c'est en lui, singularité, que s'enracine le prédicat, l'universalité, -car c'est bien jusqu'où va l'affirmation d'une singularité qui est en fait universelle... » (Jarczyk 1980 : 55).

18) Selon Théon de Smyrne (Exposé des Connaissances mathématiques utiles pour la lecture de Platon, éd. Dupuis, p. 117 cité par Tricot in Aristote La Métaphysique, vol. 1, 1981 : 25), « Le mot logos est pris en plusieurs sens par les Péripatéticiens ; car on appelle ainsi le langage que les modernes appellent oral et le raisonnement mental sans émission de voix ; on appelle encore ainsi le rapport de proportion, et c'est en ce sens qu'on dit qu'il y a rapport de telle chose à telle autre ; l'explication des éléments de l'univers ; le compte des choses qui honorent et qui sont honorées, et c'est dans cette acception que nous disons : tenir compte de quelque chose ou n'en pas tenir compte. On appelle encore logos le calcul des banquiers, les discours de Démosthène et de Lysias dans leurs oeuvres écrites ; la définition des choses qui en explique l'essence , puisque c'est à cela qu'elle sert ; le syllogisme et l'induction ; les récits lybiques et la fable. On donne aussi le nom de logos à l'éloge et au proverbe. C'est encore ainsi qu'on appelle la raison de la forme, la raison séminale et beaucoup d'autres. »

19) On peut noter qu'Hamelin, à la suite d'Aristote, établit implicitement le lien entre modalité et adhésion. A propos de l'exemple « Il est possible que nul homme ne soit cheval », il parle de « contingentes qui n'ont de contingentes que le nom et qui portent en réalité sur le nécessaire » (1985 [1905] : 195), soulignant ainsi la difficulté qui existe pour un locuteur à ne pas adhérer pleinement à un jugement dont le contenu est à ce point évident.


 

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